L’IA au service de la DRH « le défi n°1 du DRH, ou du dirigeant à part entière, est avant tout de comprendre et anticiper tous les mouvements et les signaux qui nous entourent »

Thierry Pires, expert du Digital avec plus de 20 ans d’expérience au service du B2B et du B2C, dans toutes les tailles d’entreprise et à l’échelle internationale, nous donne sa vision de l’IA au service de la DRH. Ses plus récents développements ont été orientés vers des solutions e-commerce et omnicanales. Passionné…auteur, blogueur, formateur et en veille permanente.

Dans votre entreprise / dans les entreprises avec lesquelles vous travaillez, avez-vous pu observer un déploiement de l’IA dans les outils de la DRH ? Si oui lesquels, sinon savez-vous pourquoi l’IA n’a pas été déployée ?

Dans ma jeune carrière (de salarié, manager puis directeur) et les entreprises pour lesquelles j’ai travaillé, je n’ai pas vu de déploiement spécifique de l’IA dans les outils de la DRH. De nombreux outils numériques certes (historique de carrière, voice of workforce, contact RH, review des performances annuelles, demande de congés ou formations en ligne…), mais non dotés d’apprentissage automatique, de mon point de vue.

Pour autant, je ne suis pas du tout représentatif à moi tout seul et la pratique de l’IA par les RH est plutôt récente aussi.
Néanmoins, le sujet du machine learning ou du robot qui “remplace” l’humain au sein même du cœur du système humain (la DRH), est forcément un sujet très sensible à prendre donc à la fois avec des gants blancs et des pincettes. En effet, évoquer par exemple qu’un recrutement ou un entretien annuel se fasse par le biais d’un robot à la place d’un humain, dis comme ça sans contexte, ça ne passe pas du tout auprès des #HumanFirst. Normal !

L’IA prend des formes bien différentes et fera quand même son chemin aussi au sein de la DRH car “le sort en est déjà jeté” sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’entreprise… Elle est utile pour la DRH, la direction et les collaborateurs !

A votre avis, quels sont les principaux défis que les DRH doivent relever aujourd’hui ? (recrutement, fidélisation, faire monter les salariés en compétences, gérer les carrières…)

Dans le contexte actuel, de conjoncture économique et social particulièrement difficile, on voit apparaître un nouveau phénomène de “Grande Démission” aux Etats Unis. Serait-ce un signal faible qui va prendre de l’ampleur de façon structurelle ou un simple phénomène conjoncturel qui s’estompera aux prochaines élections présidentielles, par exemple ?

Ce qui est sûr c’est que le job de toute une vie, que nos parents ont si bien connu c’est fini ! Et pour cause, avec le progrès qui s’accélère, son adoption par le plus grand nombre et la désormais #TransfoNum, des jobs disparaissent et sont remplacés par une multitude de nouveaux qui sont de surcroît bien différents. D’ailleurs, selon pôle emploi, 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore. Et si on regarde en arrière,  les métiers du big data n’existaient pas à mon époque. Tout reste à créer par nous, pour nous et nos DRH… Alors petit (ou grand), tu veux faire quoi plus tard?

On mène tous le même combat. A l’instar du darwinisme, chacun doit se doter de la capacité à se réinventer/recycler/former à moyen et long termes pour ne pas subir les défaites d’un job obsolète ou de sa propre obsolescence. Cette quête est souvent motivée par la peur d’être remplacée par une machine, un robot ou un nouveau programme informatique qui désintermédie ou révolutionne tous les secteurs d’activités.

Ce sont donc autant de préoccupations qui pèsent dans les réflexions et les décisions des salariés et que les DRH doivent appréhender.

Donc, à mon avis, le premier défis des DRH n’est pas du tout présent dans cette parenthèse qui illustre des notions trop opérationnelles qui risquent de les faire avancer avec des œillères. Il y a trop de démission alors il faut mettre les bouchées doubles sur le recrutement !? Nope !

Pour moi le défi n°1 du DRH, ou du dirigeant à part entière, est avant tout de comprendre et anticiper tous les mouvements et les signaux qui nous entourent, et qui affectent les salariés, les capitaux financiers et les clients pour lesquels l’entreprise se dessine. S’en suivent ensuite des décisions tactiques et opérationnelles. C’est aussi une question de posture du dirigeant dans laquelle il faut constamment s’assurer que l’organisation dans son intégralité doit garder le “fit avec le monde externe” ainsi que préserver “l’harmonie/le fit de son monde interne”.

Lorsqu’il s’agit du déploiement d’un chatbot en interne pour faciliter la vie des salariés dans leurs démarches RH, les impacts ne sont pas les mêmes que lorsqu’il s’agit d’introduire des robots pour remplacer le travail humain lorsque celui-ci est pénible et/ou très répétitif.

Pour les aider dans ces défis, pensez-vous que l’IA serait utile et quelles solutions d’IA leur conseilleriez-vous ?

Pour ce défi n°1, la veille et la curation me semblent complètement indispensables. L’IA peut aussi nous aider dans cette démarche mais ce n’est pas à elle de nous dire de la faire 😉.

Pour le reste, l’IA a tout à fait sa place auprès des DRH. On les met parfois en opposition alors qu’elles sont complémentaires et que l’IA est capable à la fois de traiter efficacement de grandes quantités de données (des salariés mais pas que), d’automatiser des processus et de personnaliser les expériences. En d’autres termes, l’IA amplifie le travail de la DRH dans un contexte particulièrement favorable tant le monde de l’entreprise se complexifie de jour en jour. Je vois bien des occasions de s’équiper de solutions qui intègrent l’IA, dans le data-driven decision, le prédictif et l’automatisation :

  • Collecter et analyser les sentiments des salariés, puis automatiser des reporting en temps réel et permettre de créer des clusters pour opérer des décisions tactiques et personnalisées. Exemple : l’analyse des sentiments durant l’outboarding des personnes sur le départ.
  • Optimiser la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences nécessaires à l’entreprise avec des données internes et des facteurs/critères externes qui influencent les décisions internes (classement des écoles, niveau de rareté des candidats, volume de nouveaux diplômés sortis des écoles, saisonnalité des embauches, employabilité auprès de la concurrence, contraintes légales, Glassdoor Reviews…)
  • Cartographier et planifier les besoins en formation et ainsi automatiser le processus qui accompagne la trajectoire et les aspirations des collaborateurs.
  • Automatiser les tâches administratives grâce au RPA (en anglais Robotic Process Automation, cad la robotisation automatique des processus) afin de libérer du temps sur la création de valeur. Les algorithmes liés au SIRH, à la paie, aux demandes de congés, demandes de formation, au recrutement ou encore à l’onboarding permettront de fluidifier les échanges d’information et enrichir l’expérience du salarié et du DRH.
  • Etudier lors de l’intégration d’une société, les performances individuelles et les efforts d’intégration de chacun dans le nouveau groupe et identifier les actions nécessaire
  • Voir, recruter de nouveaux salariés par le biais des entretiens vidéos différés, supervisés par l’IA. Cette dernière note les performances des candidats, avant même qu’un humain n’ait vu les vidéos afin de réaliser une pré-sélection

De nombreux secteurs d’activité peinent à trouver des talents, selon-vous l’IA pourrait-elle les aider dans ces processus de recrutement ? (tri des CV, faire matcher offre et profil des candidats…)

Les problématiques dans le recrutement sont diverses. Il y a une pénurie de talent notamment dans les métiers de la data science. Et à contrario, une demande forte dans les métiers du digital pour lesquels il faut brasser une grosse quantité de candidatures pour trouver ses perles rares parmi les centaines de candidats par offre. Dans le premier cas (rareté des profils disponibles), je vous souhaite bonne chance (et sans doute une option à ne pas négliger serait de former des personnes en interne dans le cadre de leur trajectoire de carrière…).
Dans le deuxième cas (la ruée des candidats), en guise de recrutement, pour le traitement volumineux des candidatures, je citerai deux acteurs référents mais il en existe déjà bien d’autres :

  • Le français n°1 mondial en parts de marché : EasyRecrue

Avec une solution comme EasyRecrue, seules les données audios de l’enregistrement vidéo sont réellement analysées à travers plusieurs centaines de critères : cadence des mots, richesse du vocabulaire, les champs lexicaux utilisés…L’IA note ainsi les performances des candidats, avant même qu’un humain n’ait vu les vidéos. Il faut préciser que EasyRecrue a choisi d’entraîner son algorithme en se basant sur les avis de recruteurs plutôt que sur les traits des personnes déjà en poste.

  • Un acteur américain : HireVue

Grâce à la technologie de HireVue, l’entreprise ne se fie plus aux CV ou aux hypothèses. En standardisant le processus d’entretien à grande échelle avec la vidéo, les évaluations basées sur les jeux et le codage, et l’IA conversationnelle, vous pouvez évaluer ce qui compte vraiment. Mettez en place un processus d’embauche plus rapide, plus équitable et plus convivial avec la plateforme d’embauche complète de bout en bout.
Voici d’ailleurs quelques conseils pratiques pour les futurs candidats qui affronteront ces nouveaux processus d’embauche (et finalement très pertinents dans nos contextes de travail en confinement) :

A votre avis, est-ce le rôle des DRH de veiller à ce que le déploiement de l’IA n’ait pas d’impact négatif sur les salariés ou est-ce plutôt une responsabilité de chaque chef de service ? Il-y-a-t-il des points pour lesquels les gens devraient être particulièrement attentifs ?

Tout dépend de quel déploiement on parle. Néanmoins, ouvrir le dialogue entre la DRH et chaque chef de service concerné me paraît indispensable, pour garantir le lien social, pour la définition des objectifs que l’on cherche à atteindre communément, l’adhésion des parties et l’adéquation avec les objectifs de l’entreprise. L’accompagnement de la RH peut aussi se traduire par un volet formation qui accompagne tant le chef de service, que les salariés concernés.

Lorsqu’il s’agit du déploiement d’un chatbot en interne pour faciliter la vie des salariés dans leurs démarches RH, les impacts ne sont pas les mêmes que lorsqu’il s’agit d’introduire des robots pour remplacer le travail humain lorsque celui-ci est pénible et/ou très répétitif. Récemment, McDonald’s a annoncé vouloir remplacer ses employés de la prise de commande aux bornes du service du drive par une intelligence artificielle. L’objectif affiché est d’offrir une expérience client ultra personnalisée : les menus proposés aux bornes du drive s’adaptent à l’heure, à la météo ou au trafic, et des produits additionnels sont suggérés selon le choix du client. Gain de temps aux bornes mais aussi baisse des effectifs en perspectives (dans un contexte ce type d’emploi n’est plus désiré).

Selon moi, le premier point clés vis-à-vis des salariés réside dans la collecte et la protection de ses données personnelles utiles pour la totale personnalisation de son expérience avec l’IA. Ainsi que le volet change management et formation cité ci-dessus pour accompagner le dit déploiement.

Le second point clés, sur le rôle du DRH est dans la chasse aux biais et discriminations inhérents aux IA. On se rappelle d’Amazon, en 2017 et de son intelligence artificielle qui discriminait automatiquement les femmes dans le tri des CV pour des postes techniques. L’entraînement de l’IA à l’époque s’était fait grâce aux données des employés de l’entreprise majoritairement masculins. Du coup, l’algorithme écartait en production tous les profils féminins. Il faut bien automatiser les processus ET bien les automatiser avec la nuance qui a toute son importance.😉

Selon vous quels pourraient être les freins au déploiement de l’IA ? (coût, culture d’entreprise, manque de formation…) et pensez-vous qu’un accompagnement des salariés à l’adoption de l’IA est indispensable ?

Sans aucun doute il faut installer un terreau favorable dans l’entreprise, dans lequel l’IA n’est pas perçue comme une menace pour l’homme mais bel et bien une opportunité de faciliter les choses ou d’optimiser les coûts par l’automatisation des tâches et l’ultra-personnalisation des expériences. On le voit déjà dans le secteur public et notamment dans l’éducation.
Donc une acculturation du sujet à tous les niveaux de l’entreprise avec notamment des formations dédiées et l’accompagnement des salariés directement concernés.

A ce titre, le gouvernement français a annoncé en novembre 2021 avoir injecté 2 milliards d’euros de cofinancements publics-privés sur 5 ans dans la formation et le recrutement de spécialistes en intelligence artificielle. Or la transformation numérique de nos entreprises, bien qu’elle ait accéléré ces deux dernières années, a encore un long chemin à parcourir en France.
Une fois démystifiée, il faut que l’éthique soit assurée au niveau des algorithmes et surtout des données d’entrainements qui vont influencer son expérience et sa capacité opérationnelle en production. A ce titre, on doit pouvoir expliquer les choix de l’IA et limiter/annihiler les risques de biais.

Finalement, l’IA revêt plusieurs formes, et fera ses preuves dans les métiers de la DRH car c’est un outil construit par des humains pour des humains. Reste à lever la barrière à l’entrée vis-à -vis du coût à supporter pour s’équiper.

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